Avec l´ouverture du procès de l´affaire Casa Pia, c´est toute la société portugaise qui va devoir se regarder dans le miroir. Comment, pendant plus de trente ans, des enfants placés sous la tutelle et la protection de l´Etat ont-ils pu être victimes de criminels pédophiles ?
Le douloureux procès des pédophiles inculpés dans l´affaire Casa Pia commence ce jeudi 25 novembre 2004, après une longue enquête qui a traumatisé la société portugaise et qui a en même temps dévoilé tous les défauts du système judiciaire. Sept personnes viendront occuper le banc des accusés. Elles sont inculpées d´abus sexuels sur des mineurs accueillis dans l´une des plus importantes institutions de bienfaisance du pays, les collèges orphelinats Casa Pia.
"Les sept accusés pour pédophilie et proxénétisme sont Carlos Silvino, employé à la Casa Pia ; Carlos Cruz, le présentateur télé le plus populaire du pays ; Manuel Abrantes, l´ex-directeur des orphelinats ; Jorge Ritto, ambassadeur à la retraite ; Hugo Marçal, avocat ; João Ferreira Diniz, médecin, et Gertrude Nunes, propriétaire d´une maison où sont supposés avoir eu lieu plusieurs de ces crimes", rapporte le quotidien Público.
"L´affaire Casa Pia avait éclaté en novembre 2002, quand l´hebdomadaire portugais Expresso avait accusé les directeurs de l´institution, certains hommes politiques et la police d´avoir eu connaissance de viols à répétition commis par un employé, Carlos Silvino, depuis plus de trente ans, et d´avoir laissé faire", rappelle l´hebdomadaire portugais Visão.
"Les investigations avaient ensuite révélé l´ampleur insoupçonnée de l´affaire : Silvino, accusé de 604 crimes de pédophilie, n´était en réalité que le maillon d´un réseau de personnalités de pouvoir qui le protégeaient. Les psychologues ont en effet établi qu´au moins 128 enfants, parmi les 700 pensionnaires actuels de l´institution, ont été victimes de violences sexuelles", explique Público dans un dossier consacré au procès.
"Pour autant, l´enquête n´a pas confirmé le ´tremblement de terre´ médiatico-politique qu´annonçait en 2002 Catalina Pestana, la directrice de l´institution, en assurant que le réseau était encore bien plus vaste et impliquait beaucoup d´hommes politiques et de figures médiatiques du pays. En effet, aucune charge n´a été retenue contre l´ancien ministre de l´Emploi et numéro 2 du Parti socialiste portugais, Paulo Pedroso, qui avait passé plus de quatre mois en détention préventive. De même, l´humoriste Herman José, accusé d´actes homosexuels sur des mineurs de plus de 16 ans a été disculpé", rappelle Visão.
L´affaire avait déclenché une véritable crise politique, et surtout de vifs débats sur la justice portugaise, notamment sur la question de la détention préventive, des écoutes téléphoniques et du respect du secret de l´instruction, remis en cause dans cette affaire où les fuites ont été nombreuses, portant préjudice au bon déroulement de la justice. "Les citoyens portugais ont ainsi découvert que le Portugal est le pays européen qui compte le plus de détenus en préventive, que la majorité des crimes de pédophilie bénéficient de la prescription parce que les mineurs n´ont que cinq ans pour porter plainte et qu´ils doivent le faire avant d´atteindre l´âge de 16 ans et six mois, sans quoi la dénonciation n´est pas prise en compte", explique l´hebdomadaire. Le journal Público cite, de son côté, le bâtonnier de l´Ordre des avocats portugais, José Miguel Júdice : "Le système judiciaire pénal est malade. A travers cette horrible affaire, l´opinion publique a au moins pu se rendre compte de la nécessité d´une profonde réforme de la justice."
La presse a aussi été éclaboussée au cours de l´instruction. Elle n´a pas su faire un traitement correct, rigoureux et juste de questions judiciaires pointues et difficiles pour les non-initiés. Ce déficit de connaissances juridiques de la majorité des journalistes a donc relancé le débat sur les rapports entre le monde judiciaire et le milieu des médias. Ainsi, Diário de Notícias a mis sur la table l´idée "d´installer dans les grands tribunaux un cabinet de presse composé de journalistes spécialisés, à l´image de ce qui avait été mis en place au tribunal belge d´Arlon pour le procès Dutroux". Le prestigieux quotidien portugais conclut, en rapportant une déclaration du juge Rui Rangel : "la justice ne peut plus être cette justice d´experts, magistrale et autoritaire d´il y a vingt ans. Il est aujourd´hui fondamental que la justice soit expliquée aux citoyens."
Source de l'article : Le Bouclier
http://www.bouclier.org/article/4002.html